Après
« Le journal intime » et « Ecrire le monde », cette
troisième causerie revient sur ce que certains nomment « Les écritures du
moi ». Le récit de vie se distingue de la biographie en ce sens qu’il ne
prétend pas à l’exhaustivité et s’applique davantage aux « gens
ordinaires » qu’aux personnes ou personnages dont la vie pourrait
présenter un intérêt public. Cela dit, le récit de vie lui-même se décline
selon deux axes qui sont d’une part le récit de vie commandé dans le cadre
d’une étude sociologique, économique ou autre (on parle alors de « récit
de vie orienté) ; d’autre part le récit de vie commandé par le sujet
lui-même ou parfois par ses proches. Le premier vise à étayer une recherche en
amenant une diversité de sujets à raconter un ou plusieurs épisodes de leur vie
dans un contexte historique ou géographique précis ; le second est plus
complexe tant dans ses motivations – quelles raisons peuvent en effet inciter
une personne à raconter sa vie à une autre personne et à rémunérer cette
dernière pour qu’elle la consigne par écrit ? – que dans ses enjeux
(dévoilement de soi, peur d’être jugé, peur de ce qu’on risque de découvrir sur
soi-même…). Il va de soi que c’est cette deuxième approche du récit de vie qui
m’intéresse et dont j’ai parlé à l’occasion de cette troisième et dernière
causerie de la saison.
Raconter sa vie, dit la psychologue
Eliane Christen-Gueissaz, c’est la
reconstruire, dans le présent et dans la relation avec un interlocuteur :
c’est tisser des liens entre les événements vécus, discontinus, pour en faire
une histoire qui a un sens pour l’autre et pour soi.
Ce
à quoi Pierre Bourdieu réplique dans un texte intitulé L’illusion biographique : Parler d’histoire de vie, c’est
présupposer au moins, et ce n’est pas rien, que la vie est une histoire et que,
comme dans le titre de Maupassant Une vie, une vie est inséparablement l’ensemble des événements d’une existence
individuelle conçue comme une histoire et le récit de cette histoire.
Comme
on le voit l’exercice n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît… Je sais gré aux
présents, de par les questions posées et points soulevés, d’avoir contribué à
ce que cette causerie reste accessible à tous.
Dernier
point : s’il est manifeste que l’une des motivations premières du récit
vie reste le souci de transmettre – un savoir-faire, un vécu, un mode
d’existence, un secret, etc. – il ne faut pas croire que seules les personnes
âgées entreprennent la démarche de se raconter. De plus en plus l’écriture d’un
récit de vie est sollicitée par ou auprès de personnes de tous âges, en
difficultés ou ayant besoin de faire le point, d’y voir plus clair, de mieux se
comprendre, de prendre conscience qu’elles existent en tant que telles.
Il appartient souvent aux écrivains publics de recueillir le témoignage des sujets concernés mais surtout de le mettre en forme et cela nécessite un savoir-faire et du talent. Tout en respectant la parole du sujet et ce qu’on nomme le « grain » de sa voix - c’est-à-dire sa manière de s’exprimer avec entre autres ses tics langagiers et ses hésitations – il faut également s’attacher à valoriser le récit (par la forme, mais aussi par le soin apporté à sa présentation) afin qu’un lecteur – fût-il unique – s’y intéresse, faute de quoi l’objectif premier de l’exercice qui est la transmission ne serait pas atteint. A une époque où l’on bavarde beaucoup sans vraiment se parler, où le temps manque souvent pour se dire en profondeur, où nos anciens sont fréquemment relégués dans des maisons d’accueil loin de chez eux et de leurs familles, nul doute que l’écrit a un rôle à jouer et que le récit de vie peut soulager les cœurs et donner sens à l’existence en plus d’apporter parfois réponses et éclaircissements à ses destinataires.
Pendant ce temps, loin de Vert-le-Grand et de nos aimables causeries, le pays des Dieux et des plus beaux récits jamais écrits accuse les humiliations que lui causent des mortels cupides et sans grandes perspectives.
Il appartient souvent aux écrivains publics de recueillir le témoignage des sujets concernés mais surtout de le mettre en forme et cela nécessite un savoir-faire et du talent. Tout en respectant la parole du sujet et ce qu’on nomme le « grain » de sa voix - c’est-à-dire sa manière de s’exprimer avec entre autres ses tics langagiers et ses hésitations – il faut également s’attacher à valoriser le récit (par la forme, mais aussi par le soin apporté à sa présentation) afin qu’un lecteur – fût-il unique – s’y intéresse, faute de quoi l’objectif premier de l’exercice qui est la transmission ne serait pas atteint. A une époque où l’on bavarde beaucoup sans vraiment se parler, où le temps manque souvent pour se dire en profondeur, où nos anciens sont fréquemment relégués dans des maisons d’accueil loin de chez eux et de leurs familles, nul doute que l’écrit a un rôle à jouer et que le récit de vie peut soulager les cœurs et donner sens à l’existence en plus d’apporter parfois réponses et éclaircissements à ses destinataires.
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Pendant ce temps, loin de Vert-le-Grand et de nos aimables causeries, le pays des Dieux et des plus beaux récits jamais écrits accuse les humiliations que lui causent des mortels cupides et sans grandes perspectives.