jeudi 28 janvier 2016

Dimanche 17 janvier : fête de clôture de la résidence de Jacques-François Piquet


                          

Bon, vous n’avez pas pu assister à cette dernière manifestation de la résidence d’écrivain de Jacques-François Piquet, mais on va faire comme si, l’écriture le permet, c’est d’ailleurs l’une de ses propriétés, de dire non ce qui a été, mais ce qui aurait pu être. Donc, vous êtes arrivé à la médiathèque un peu avant 16h, ce qui est bien car d’autres que vous sont arrivés en retard et forcément cela se remarque et dérange quelque peu ; de plus, vous n’étiez ni enroué ni enrhumé et donc n’avez à aucun moment ponctué les lectures de raclements de gorge ou d’éternuements sonores, une bonne chose car la manifestation était enregistrée.
Enfin vous avez pris place non pas au premier rang, vous n’aimez pas trop, mais disons au deuxième rang, un peu de côté, voir sans être vu, telle est votre préférence. Un petit quart d’heure d’attente et les choses sérieuses ont commencé.

                Après quelques mots de bienvenue de la part de Françoise Roques, directrice de la médiathèque, c’est M. le Maire qui a fait un discours, bref mais chaleureux, remerciant l’écrivain pour le travail accompli, s’étonnant du nombre et de la richesse des actions mises en place et félicitant l’équipe de la médiathèque pour son soutien tout au long de cette résidence. Comme tout le monde vous avez applaudi, et même vous êtes réjoui intérieurement lorsque M. le Maire a offert à l’écrivain une gravure de Michel Ziegler, artiste grandvertois dont vous avez justement apprécié le travail lors de l’exposition qui s’est tenue dans les dépendances du château en novembre dernier. Après quoi, l’écrivain s’est fendu de quelques mots pour remercier M. le Maire, non seulement pour le cadeau (« Mais qu’avez-vous donc à vous faire pardonner pour m’offrir un cadeau ? » lui a-t-il demandé
avec malice au reçu de l’œuvre bien enveloppée dans un papier de soie rouge), mais pour son soutien tant matériel que financier durant l’année écoulée, en lui disant combien il avait notamment apprécié que la salle de la bibliothèque du château de la Saussaie soit remise en état aux fins d’y donner une lecture de textes en chantier. C’était en mai et vous vous en souvenez, oui, une belle salle, pensez-vous, et ma foi une belle prestation du comédien Nicolas Piot et une évidente prise de risque de la part de l’écrivain. M. le Maire a paru sensible à ces remerciements. Tout le monde a applaudi une nouvelle fois, et vous comme les autres, avec toutefois ce désir maintenant que les choses sérieuses – à tout le moins littéraires - commencent vraiment.

               
Marc Roger – lecteur public de renom (vous le connaissez pour l’avoir déjà entendu, mais c’était où et quand déjà, enfin, ça vous reviendra ?) installe son pupitre et ses feuilles, marque un temps de silence et annonce : Vers la mer, chant d’amour et d’adieu. C’est le titre du dernier livre de l’écrivain en résidence, Marc Roger va en lire deux extraits d’une douzaine de minutes chacun. La voix est posée, le timbre assurée et agréable à l’oreille, le débit au juste rythme pour faire entendre les mots et la musique du texte. Vous appréciez, et manifestement les autres aussi, car le silence est d’or, n’étaient quelques toussotements somme toute peu dérangeants. 

Vers la mer : 1 from Médiathèque de Vert-le-Grand on Vimeo.

               

Après cette première lecture, Marcelline Roux – alias Valérie Rouxel – s’installe à une table et l’écrivain à une autre, tous deux face au public. Remarquant l’émotion de l’écrivain – que vous comprenez vu la nature du texte que vous venez d’entendre – Marcelline Roux, chroniqueuse littéraire, a la délicatesse de parler quelques minutes avant d’enchaîner sur les questions qu’elle souhaite poser à l’écrivain. Ainsi explique-t-elle d’abord la raison de son pseudonyme, puis sa rencontre avec le texte pour lequel elle a écrit une préface intitulée Un galet à polir, non tant une note de lecture à proprement parler qu’une réflexion sur la résonance que le livre peut avoir chez le lecteur. Les premières phrases de cette préface vous sont données à entendre et vous appréciez lorsque Marcelline Roux dit que « ce texte (Vers la mer, donc) accoste l’univers du conte mais par esprit seulement, par cet esprit sérieux de l’enfance avec lequel certains renouent, pour aiguiser leur regard, retrouver celui de la première fois, qui ouvre l’instant comme une éternité et rend grâce. »
Après ce préambule, viennent les questions à l’écrivain et les réponses de ce dernier, parfois hésitantes – encore ému, vous demandez-vous ? – parfois plus affirmées, mais toujours empreintes d’une sincérité qui vous touche. La question du réel que l’écrivain dit à plusieurs reprises avoir voulu transformer attise votre curiosité et vous vous promettez, si l’occasion se présente, de lui en toucher un mot tout à l’heure, car un buffet est prévu, n’est-ce pas, oui, en tout cas c’était écrit sur le programme…

               
Deuxième lecture de Marc Roger et toujours cette même qualité d’écoute de la part du public : plus d’enroués plus d’enrhumés, vous étonnez-vous, la littérature aurait-elle aussi des vertus curatives ?  Une douzaine de minutes plus tard, votre question n’a pas trouvé réponse, mais qu’importe, vous applaudissez le lecteur et l’écrivain, remarquez que ce dernier semble désormais plus détendu, songez in petto que le buffet sera le bienvenu et pour lui et pour vous, mais…

               
Nouvelle intervention de la directrice de la médiathèque pour présenter maintenant Alain Kewes (ah, on prononce Kévesse, notez-vous, et non pas Kéouesse comme vous le pensiez, comme quoi on en apprend tous les jours et cela vous ravit), Alain Kewes, donc, éditeur de Vers la mer, qui va tout à la fois parler de son travail au sein de la maison d’édition Rhubarbe qu’il a créée il y a dix ans et dialoguer avec l’écrivain en résidence. Vous êtes tout ouïe, car admettez ne pas y connaître grand-chose dans ce milieu, et là encore vous appréciez que la présentation ne soit ni jargonnante ni trop complexe, mais vise à l’essentiel. Une question de l’écrivain renvoie la balle à l’éditeur qui lui aussi est écrivain, nouvelliste, lauréat du fameux Prix Prométhée de la nouvelle il y a quelques années, lequel explique que ses activités d’éditeur ont sérieusement empiété sur son travail d’auteur et que s’il lui arrive encore aujourd’hui d’écrire, c’est souvent pour répondre à des commandes de la part de directeurs de publications littéraires. Pour illustrer cette facette de son travail, Alain Kewes
accepte de lire une brève nouvelle de son dernier recueil en date Ce n’est pas mon visage. Comme Marc Roger un moment plus tôt, il se met debout face au public et annonce le titre : Trompe-l’œil, mais la tonalité de cette nouvelle lecture est tout autre et apporte ce rien d’humour dont tout un chacun – et vous comme les autres – avait envie : ah, quelle histoire et quelle chute, vous en riez tout en applaudissant – et du coup en avez presque oublié le buffet qui pourtant ne saurait tarder puisqu’on en arrive maintenant aux remerciements de circonstances.

                C’est Françoise Roques qui commence : remerciements à M. le Maire et à son équipe, notamment à Mme Nicole Sergent, élue en charge de la culture, pour son soutien et sa disponibilité tout au long de cette résidence ; remerciements ensuite à l’écrivain – normal, pensez-vous, et d’ailleurs celui-ci va sans doute lui rendre la pareille dans un instant ; remerciements enfin aux divers intervenants pour la qualité de leur prestation, puis au public dont la présence a donné sens aux actions entreprises. Après quoi, elle conclut son discours en expliquant ce que cette résidence a apporté tant à la vie culturelle du village qu’à tous ceux qui ont assisté aux ateliers, lectures, spectacles, expositions proposées dans ce cadre.

               
Vous en êtes encore à applaudir quand l’écrivain, comme vous vous en doutiez, prend le relais et se lance à son tour dans les remerciements. En plaisantant, il prévient qu’il en aura pour à peine deux heures, vous savez bien que ce n’est pas vrai, mais vous espérez secrètement que ce ne sera pas trop long, d’une part parce que vous commencez à avoir mal aux fesses – les chaises sont confortables, certes, mais au bout de deux heures, bien rembourrées ou pas (les chaises et les fesses), on souffre, non ? Et puis vous songez au buffet…

               
L’écrivain remercie lui aussi M. le Maire et son équipe dont Mme Nicole Sergent à qui il promet de céder la parole dans quelques minutes pour conclure – ah ah vous réjouissez-vous, l’heure approche ! Puis remercie chaleureusement l’équipe de la médiathèque, Bernadette Botalla et surtout Françoise Roques qui n’a eu de cesse, dit-il, de lui rappeler qu’il avait été invité en résidence non tant pour son savoir-faire en tant qu’animateur d’ateliers ou modérateurs de rencontres, mais en qualité d’écrivain et qu’il se devait de valoriser son travail. « C’est à elle, précise-t-il, que l’on doit les lectures en chantier qui ont été présentées au château, une idée qui m’a quelque peu bousculé dans mes pratique. » Sans doute, acquiescez-vous en silence et en connaissance de cause, mais c’était une belle et bonne idée, bravo !

               
Le petit moment d’émotion passé, l’écrivain enchaîne avec d’autres remerciements : à Geneviève Bridoux, présidente du Foyer des anciens ; aux membres de l’association Vert-le-Grand autrefois, notamment à Jean-Jacques Cauchois pour son accueil chaleureux dans sa grande ferme à l’orée du village ; enfin à Frédéric Danielczak pour ses articles de bonne facture dans le Républicain et les photos prises lors des divers événements. A ce point, vous vous dites, voilà c’est bon, on a fait le tour, on va pouvoir… Mais non ! Il faut aussi remercier les intervenants artistiques, et d’abord les absents : Michel Séonnet (écrivain), Christiane Veschambre (poète), Nicolas Piot (comédien), Nicolas Rouxel-Chaurey (plasticien & photographe), Olivier Salon et Martin Granger (comédiens), enfin Grâce Youlou Nkouelolo (comédienne). Puis les présents : Claire Monestier (musicienne – les Structures Sonores Baschet, vous vous souvenez ?), Roberte Lamy (comédienne), Joëlle Cuvilliez (écrivain), Benoît Richter (librettiste et metteur en scène -  Conférence en forme de poire, c’était lui, vous en riez encore !), Marcelline Roux (chroniqueuse littéraire), Alain Kewes (éditeur et nouvelliste – dont vous savez désormais prononcer le nom, youpi !) et enfin Marc Roger (lecteur public). Eh bien, voilà, vous dites-vous, maintenant qu’on a fait le tour, remercié et applaudi tout le monde, on va pouvoir… Et déjà vous avez décollé une fesse de votre chaise… Mais non, l’écrivain veut encore dire quelque chose, cette fois en votre for intérieur, vous pensez que cette homme-là parle bien plus long qu’il n’écrit, mais bon, c’est son jour de gloire, vous recollez votre fesse sur la chaise.
                « Pour finir, annonce-t-il, j’aimerais répondre à la question que vous vous posez tous, et surtout mes amis… » Vous levez un sourcil : y a-t-il quelque point d’interrogation qui traîne dans votre tête ? Non, enfin, vous ne voyez pas. « Mais si, rétorque l’écrivain, vous vous demandez tous ce que je vais bien pouvoir faire de tout cet argent gagné pendant ma résidence ! » Ah, ah, souriez-vous intérieurement, on va tout savoir des petits désirs secrets de l’écrivain : un stylo Mont-Blanc, peut-être, ou l’intégrale Proust en Pléiade, ou encore le Circuit des Maisons d’écrivains célèbres avec menu gastronomique préféré de chacun d’eux ? Quand on sait ce que dévorait un Dumas ou un Balzac, ça vous fait sourire d’imaginer le petit écrivain en résidence s’arrondir au fil des jours ! Du coup vous tendez si fort l’oreille que vous en oubliez mal aux fesses et buffet imminent. Quelle déception toutefois de l’entendre décliner la liste de ses envies : cabriolet rouge avec siège en cuir blanc, bottes en véritable peau de crotale, élixirs aphrodisiaques en pure corne de rhino, séjour à Sun-City avec nuits folles au casino, etc… Finalement un homme comme les autres, soupirez-vous. Heureusement, ajoute-t-il, victime de son éducation étriquée dans un milieu de petites gens, il ne s’est autorisé aucune de ces frivolités et a placé tous ses sous à la caisse d’épargne, ce qui, précise-t-il, ne lui rapporte rien en intérêt, rien sinon une certaine tranquillité d’esprit et donc du temps pour écrire. Le message subliminal vous fait sourire, car vous – et les autres aussi, sans doute – avez bien compris qu’il ne faut pas espérer le taper d’une centaine d’euros : perdu d’avance ! « Par contre, ajoute-t-il, vous pouvez me taper d’une centaine de minutes autour d’une table de café ou de restaurant, et là, croyez-moi : vous en aurez pour votre argent ! » Est-ce parce qu’il a parlé de restaurant que vous songez à nouveau au buffet ? Un dernier mot de Nicole Sergent, adjointe à la culture, une dernière touche d’émotion – heureusement qu’elle est moins bavarde que celui qu’elle remercie, pensez-vous en décollant à nouveau une fesse de votre chaise – une embrassade et hop, le mot divin franchit les lèvres de l’élue : buffet !

               

mercredi 13 janvier 2016

Dimanche 13 décembre : Histoire blanche & Conte noir


                Pour la dernière manifestation de ma résidence (avant clôture de celle-ci qui, je le rappelle, aura lieu le 17 janvier, soit un an jour pour jour après son lancement), j’ai choisi de donner en lecture deux textes qui ne sont pas nouveaux mais dont la pertinence m’est apparue évidente dans la conjoncture actuelle.

Le premier, La ville inventée, figurait en tant que chapitre dans le roman Rue Stern (1993), puis, dans une version polyphonique, au cœur de la trilogie théâtrale, En pièces (1999), sous le titre  Metaphor-City. Pour la lecture présente, je l’ai écourté de manière à en faire ressortir le thème-clé qui est l’intolérance et comment on en vient à construire un mur autour de sa ville pour se protéger de l’autre, qu’il soit « Gueux » ou « Indien » (c’est ainsi que je désigne ces indésirables, d’autres vocables sont sûrement envisageables).


"La ville inventée" et "Le Crépuscule d'Abal de Maraboule" de Jacques-François Piquet (lecture à Vert-le-Grand, 13-12-2015) from Médiathèque de Vert-le-Grand on Vimeo.






Le second, Le crépuscule d’Abal de Maraboule, est ébauché dans la pièce Qui d’autre ?(2007) mais je l’ai entièrement repensé et abouti à l’intention de la comédienne Grâce Youlou Nkouelolo à qui j’en ai confié la présente lecture. Le sujet en est l’ingérence et ses conséquences : comment en quelque sorte nos désirs d’hégémonie ici ou là sur tous les continents ont non seulement souvent généré le chaos mais ont des conséquences dont nous sommes aujourd’hui autant coupables que victimes. Ecrit sous forme de conte et lu avec brio par la comédienne, ce texte a, je crois, séduit le public présent – pour moi, en tout cas, c’était presque une découverte et donc un petit bonheur d’auteur, comme il en est parfois lorsqu’on assiste à la première représentation d’une de ses pièces.

Grâce Youlou Nkouelolo a un site Internet (www.graceyoulou.com) dont la consultation nous apprend qu’en plus d’être comédienne, elle écrit, met en scène et même chante ! Je la remercie d’avoir donné vie à mon texte avec entrain et tant de… grâce !  


  

Et voici la captation audio de Le Crépuscule d'Abal de Maraboule (voix : Grâce Youlou Nkouelolo, comédienne) : http://www.jfpiquet.com/audio.htm