Pour
la dernière séance d’atelier, rien de tel qu’une proposition un brin ludique
mais à considérer néanmoins avec un minimum de sérieux. Pour ce faire, se dire
en premier lieu qu’on a une vingtaine d’années et que l’on vient de publier son
premier roman sous pseudonyme, lequel premier roman a été plutôt bien accueilli
par les médias. L’invention de soi commence par le choix d’un pseudonyme, puis
par le choix du titre de son roman. Après quoi, dans le cadre d’un entretien
littéraire, il s’agit pour les futurs célèbres auteurs de répondre par écrit
aux questions suivantes :
1) Bonjour
et bienvenue (mention du pseudonyme), vous avez vingt ans et venez de publier
votre premier roman, ce qui révèle un talent plus ou moins précoce. Pouvez-vous
nous dire comment vous êtes venu(e) à l’écriture ou, si vous préférez, comment
vous est venue le désir d’écriture ?
2) Le
titre de votre roman est quelque peu énigmatique. Pouvez-vous nous en dire un
peu plus à ce propos ?
3) Louis
Aragon disait que l’incipit d’un roman pouvait se comparer au « la »
musical qui donne la tonalité du morceau. Pouvez-vous nous lire l’incipit de
votre roman ?
4) En
quoi il donne la tonalité du livre ?
5) Beaucoup
de lecteurs ont été surpris par la richesse de votre vocabulaire. D’où tenez-vous
par exemple ce verbe « enfirouaper » ou cet adjectif
« jarnifique » et que signifient-ils exactement ?
6) Ce
premier livre vous a déjà valu quelques articles dans la presse. Qu’est-ce qui
vous a fait le plus plaisir de lire à votre propos ?
Merci d’avoir répondu à nos questions, (mention
du pseudonyme), je vous souhaite - et
vos lecteurs avec moi – une brillante carrière.
*
Les
jeunes auteurs avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger et les
premiers romans présentés : Léon Noël, La
dernière séance ; Sally Mara, Portrait
d’un malade en jeune femme ; Joé Myst, Nouveautés ?; Rosie, La
haine du poireau ; Camille Wilson, Dans
le sens du vent ; Véra Chikoff, Sur
les bords de la Volga ;
Laure Momtayone, La rue du Milieu.
Et
les réponses de celles et ceux qui nous ont autorisés à les reproduire sur ce
blog :
Camille
Wilson, auteur de Dans le sens du vent
Question 1
Je suis quelqu'un de - comment dire -
psychologiquement instable. Oui c'est comme ça que dit mon psy. Il m'a
conseillé de mettre par écrit mes - comment dire - tourments. Il faut que
j’extériorise. C'est donc depuis très longtemps que j'écris. Et pourquoi un
roman, allez-vous me dire ? Eh bien - comment dire - pourquoi pas ! C'est mon
psy d'ailleurs qui m'a aidé à le publier. Il connaît du monde.
Question 2
Ah! Vous avez vu. J'aime bien mon titre. Mon
psy m'a aidé à le trouver. Nous avons réfléchi ensemble. On a - comment dire -
étudier le contenu de mon roman. Je vais pas vous raconter l'histoire, faut que
vous l’achetiez. Nous avons conclu que mon héroïne voulait - comment dire -
être comme les autres, que tous ses actes, toutes ses pensées ne tendaient que
vers un but : être dans le sens du vent. Et franchement Dans le sens du vent, moi, je trouve que
ça en jette!
Question 3
Dehors, il fait beau. Jeanne est assise sur son
lit. Elle se lève précipitamment et se dirige vers la porte d'entrée. Puis
aussi rapidement retourne s'asseoir sur son lit. Il fait beau. Hier,
Jeanne s’est acheté des bottes pour la pluie, des bottes de toutes les couleurs.
Question 4
Ah vous avez lu le début de mon livre? Vous
l'avez acheté ? Je ne savais pas trop par où et comment commencer. Mon psy qui
me connaît bien m'a dit : " Raconte simplement les faits, comme ça vient
dans ta tête". Et c'est ce que j'ai fait. Je fais comme ça aussi pour mes
interviews, je dis comme ça vient dans ma tête. Mais attention j'ai pas mis mon
vrai prénom !
Question 5
Pourquoi vous me demandez ça? Je vous trouvais
sympa, mais là - comment dire - j'ai l'impression que vous cherchez - comment
dire - à me ridiculiser. Attendez, je vais me calmer... faut que je respire.
Bien, enfirouaper est un verbe du premier
groupe qui se conjugue comme les verbes aimer et chanter. Ils sont beaux ces
verbes, vous trouvez pas ?
On enfirouapait autrefois les nouveaux nés,
c'est-à-dire qu'on les enveloppait dans des bandages de la tête aux pieds - euh
non pas la tête ! Par exemple : avant de se mettre à cuisiner Jeanne enfirouapa
sa fille et la suspendit à la poutre.
Jarnifique signifie plein de fleurs, comme un
jardin. Par exemple: ce chapeau est jarnifique.
Question 6
Vous écrivez où, vous ? Parce que j'ai eu
d’autres interviews. Vous les avez lues ? C'est le premier qui m'a fait le plus
plaisir. C'était dans Psychologies Magazine. Je crois bien que c'est grâce à
mon psy. Ça disait : "Spontané et naturel, l'auteur de Dans le sens du vent nous donne à voir
un monde inconnu"
***
Sally Mara, auteur de Portrait
d’un malade en jeune femme
Question 1
Il y a trois ans, en deux-mille-douze – j’avais
alors dix-sept ans - j’ai été hospitalisé, huit mois. Septembre
deux-mille-douze. Première A3 au Lycée P… V…, trente-neuf kilos. Hospitalisé.
J’ai suivi les cours à distance du CNED. Et parmi les professeurs qui me
suivaient, j’ai surtout accroché avec la professeure de français. Une fois le
bac passé, j’ai continué à correspondre avec elle ; elle me conseillait
des lectures, Queneau, Joyce, Proust… Et c’est elle qui m’a encouragé à écrire
sur mon année passée à l’hôpital. Elle disait que ça donnerait du sens à ma
vie, que ça me nourrirait. (Petit rire
sarcastique)
Question 2
Je venais de lire Ulysse de Joyce. Alors, pour mon propre récit, j’ai repris la
structure de Ulysse : une
journée de ma vie, le samedi 16 juin 2012. Et j’ai choisi un titre qui fait
écho au Portrait de l’artiste en jeune
homme. Et puis ce récit, c’est une autofiction : un peu ma vie, un peu
autre chose, vrai et faux, vrai mais faux. C’est pour ça que j’ai dressé mon
portrait au féminin : un peu moi, mais pas que, un autre aussi, plus imaginé,
peut-être plus vrai, qui sait ? Et comme j’aime beaucoup Queneau, j’ai
pris « Sally Mara » comme pseudo. (Petit
gloussement sec)
Question 3
« Et pourtant, je m’étais longuement
brossé les dents - j’avais même passé les poils rêches de la brosse sur la
partie charnue de la langue, jusqu’au fond du palais, ce qui avait déclenché un
dernier haut-le-cœur et fait remonter le goût acide de l’acétone qui était tapi
depuis plusieurs jours dans mon œsophage – et
m’étais soigneusement savonnée les mains. Aussi, quand je sortis de la
salle-de-bains, j’affrontai avec assurance ma mère qui s’était campée sur le
palier. » (Petit raclement de gorge)
Question 4
J’ai voulu d’emblée être dans le vif du sujet,
décrire la vie de mon personnage par le biais des détails corporels. Voyez, ce
corps que Sally refuse, maltraite, nie, il envahit tout, il est partout, en
trop. Sally, oui, ce corps sali ! (Petit
pincement des lèvres)
Question 5
Enfirouaper v.
tr. : rouler quelqu’un dans la farine avec subtilité et persévérance.
Citation : «Je les ai tous
enfirouapés » (in Moi, ma vie, mon
œuvre, de J.-P. Piquet)
Jarnifique adj. :
qualifie un style littéraire particulièrement recherché et fleuri.
Citation : « Mais c’est tout
simplement jarnifique » (note de lecture de J.-F. Piquet à propos de Portrait d’un malade en jeune femme de
Sally Mara). (Petite moue)
Question 6
Un lecteur a écrit sur son blog
« L’autofictif », à propos de mon livre : « La beauté d’un
Joyce, l’humour d’un Queneau : un régal ». C’est jarnifique,
non ? (Petit sourire de suffisance)
***
Léon Noël, auteur de La dernière séance
Question 1
Mon milieu familial m’a, très jeune, orienté vers l’acte créatif. Du dessin à la cheminée qui fume, à la fenêtre entrouverte, au soleil dans un coin de la page exécuté sur la table de la cuisine, m’est apparu évident que ces images devaient vivre. Je me heurtais à des limites avec ce dessin figé dans ce monde clos. Il m’apparaissait essentiel que ma vie s’ébroue, que le monde tourne. L’écriture m’a fait franchir le seuil de la maison de papier. J’ai découvert le dehors et inventé ainsi un univers propre que je ne partagerai pas avec ma famille. J’avais un besoin d’autonomie créative, de liberté. Me projeter dans quelqu’un d’autre, différent du portrait dont j’imaginais que les autres pouvaient me percevoir était exaltant.
Mon milieu familial m’a, très jeune, orienté vers l’acte créatif. Du dessin à la cheminée qui fume, à la fenêtre entrouverte, au soleil dans un coin de la page exécuté sur la table de la cuisine, m’est apparu évident que ces images devaient vivre. Je me heurtais à des limites avec ce dessin figé dans ce monde clos. Il m’apparaissait essentiel que ma vie s’ébroue, que le monde tourne. L’écriture m’a fait franchir le seuil de la maison de papier. J’ai découvert le dehors et inventé ainsi un univers propre que je ne partagerai pas avec ma famille. J’avais un besoin d’autonomie créative, de liberté. Me projeter dans quelqu’un d’autre, différent du portrait dont j’imaginais que les autres pouvaient me percevoir était exaltant.
Question 2
Ce titre s’est imposé dès le premier
chapitre. J’ai voulu changer d’univers, m’échapper et pénétrer un monde
inconnu. A 20 ans que sait-on de
soi ? Qu’imaginons-nous de l’avenir ? J’ai souhaité créer un espace
sans contraintes, l’esprit ouvert à la curiosité. J’entends dans votre question
que vous souhaiteriez que j’en dise plus. Stop ! Dans mon roman, l’enfance
a disparu. S’ouvre la liberté pour tous, le bonheur au bout des doigts. Quand
Léo quitte le domicile des ses parents pour faire sa vie ailleurs, ce monde
nouveau est bien là. La dernière séance explore ce moment où Léo imagine ses
futures aventures. Il sait ce qu’il laisse et imagine ce qui va le ravir.
Question 3
« La maison sent le
renfermé en ce 13 novembre. A travers les vitres de la fenêtre, Léo contemple
son reflet et en même temps regarde au loin, derrière la rangée d’arbres qui
ont déjà perdu leurs feuilles. Pas un bruit alentour. La tempête d’hier a cessé
et a lavé la campagne. Un monde nouveau apaisé s’offre aux yeux de Léo. La
force de ses 18 ans le propulse au-delà de la muraille d’arbres devant lui au
fond du jardin. Espace clos dont Léo franchit déjà les frontières, libre, sans
passeport. »
Question 4
On perçoit dès les premiers
mots l’espace clos. Le reflet dans la vitre et en même temps la perspective qui
s’ouvre au regard de Léo invite à voir ce monde clos s’ouvrir. La dernière
séance est-elle déjà entamée ? Léo finit-il d’interpréter son rôle de fils
attentionné pour prendre son envol ? Qu’éprouve-t-il à cet instant ?
La tempête a balayé ses dernières hésitations. Fort de sa jeunesse le monde
nouveau l’accueille.
Question 5
Enfirouaper : issu du vieux français. Action qui s’applique aujourd’hui aux recruteurs d’étudiants nécessiteux, visant à les diriger vers l’enseignement supérieur assisté ou gratuit.
Enfirouaper : issu du vieux français. Action qui s’applique aujourd’hui aux recruteurs d’étudiants nécessiteux, visant à les diriger vers l’enseignement supérieur assisté ou gratuit.
Jarnifique : adjectif dont la paternité revient
au compositeur français Jean-Michel Jars. Les nouveaux créateurs de musique
électro-planante en font un usage courant… alternatif.
Question 6
Les Inrocks n’ont pas été
avares de louanges. Ce ne sont pas les flatteries qui m’ont fait plaisir, mais
la description de trouvailles qu’ils y ont trouvé. De nouveaux mots entrés dans la langue parlée de toute la génération Z aujourd’hui et
demain. Et aussi l’originalité du thème
du roman. En effet décrire en 250 pages
un instant où Léo imagine un monde qu’il
ne connaitra pas.
Cela m’a ému que des
journalistes que j’avais souvent lus et appréciés pour d’autres écrivains portent
un regard aussi lucide sur mon livre. Je me suis délecté des critiques acerbes
et négatives de journaux que je n’aime pas. Je suis donc dans la bonne
direction.
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